S'emparer des photos de La Terre vue du Ciel de Yann Arthus-Bertrand, si célèbres déjà, si contemplées, si « déjà-vues », avec « le désir de leur faire rendre encore plus d'intensité, d'en tirer la substantifique moelle », sans rajouter du sens, sans souligner les effets. Ecrire un commentaire qui signifierait « no comment ». Inventer une musique si belle qu'elle en deviendrait invisible, le chant de la Terre. « Tricoter ensemble », comme il dit, ces trois arts qui s'adressent aux cinq sens (et surtout au sixième), voilà le projet paradoxal dont rêvait Renaud Delourme. La réalisation de son premier long métrage lui aura pris quatre ans. Mettre ses pas dans les pas d'un autre témoigne à la fois d'une modestie, d'une ambition et d'un orgueil peu communs, d'une passion intime dont le fil rouge est tissé de ces deux mots, qu'il prononce avec la pudeur de ceux pris en flagrant délit de passion, justement : « transmission » et « responsabilité ».
Renaud Delourme : « J'ai été saisi par le regard des gens sur ces photos, quand elles étaient exposées sur les grilles du jardin du Luxembourg et au Sénat au Printemps 2000. Ces 120 photos et les milliers de regards émerveillés et fascinés… racontaient ensemble une histoire étonnante : celle d'une Terre et d'une humanité réconciliées. Il y avait dans ces regards une sorte de vertige de réinvention du monde. D'enchantement. Ils n'avaient jamais vu la Terre comme cela. Ce fut une découverte assez bouleversante pour beaucoup. Nous, en infiniment petit, et la Terre en infiniment grand.
Et puis je ne devais pas plaquer ma vision des choses sur celle de Yann Arthus-Bertrand. Lui, son message est simple car ses photos se suffisent à elles-mêmes : la Terre est belle. La Terre est fragile. La Terre est peuplée d'humains, mais pas seulement. Et elle a une très vieille histoire. Si commentaire il fallait, cela aurait dû être du côté de l'explication, de la pédagogie écologique. Lui pensait à une information pour chaque photo, pour chaque photo une légende. Mais tout le mystère de ces regards, de cette compréhension immédiate, de cette prise de conscience, au sens propre du terme, aurait disparu. L'explication, la dénonciation, c'est précisément ce que je voulais éviter. Il y a une dimension à ces images qui nous transperce. Nous comprenons d'emblée. Cette création est au-dessus de nous, au-dessous de nous, avant nous, à l'intérieur de nous.
Je trouve cette entrée par la beauté beaucoup plus fulgurante. Tout d'un coup apparaît une autre façon de transmettre le message écologique. Cela ne passe pas par la déforestation, par les catastrophes, par une description apocalyptique, même si elle est juste. Il y a une beauté pleine d'humanité, qui nous touche au plus profond et nous délivre un message de compréhension et de redécouverte du monde. Cette vision (nous) recompose notre Histoire. De façon très sensuelle, très impressionniste, très imaginative. Mieux que par un message politique, qui parle à la raison, faire passer une émotion, qui transmet au cerveau quelque chose d'indicible et donne envie de changer le monde.
Les utopies sont nées ainsi. D'un rêve, de l'insoutenable beauté des choses. C'est pour moi, qui suis profondément écologiste, et qui ai épousé une militante écologiste convaincue, une façon neuve de transmettre. Je suis obsédé par cette idée de transmission. Nous avons perdu le fil de la transmission... » |